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Travailleurs détachés : le juge national peut écarter un certificat A1 (ex-E 101) obtenu frauduleusement, en l’absence de retrait par l’institution émettrice du pays d’origine

Par un arrêt rendu le 6 février 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) clôt la saga judiciaire entourant le certificat de sécurité sociale A1 (ex-E 101) qui, rappelons-le, permet de maintenir l’affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de son pays d’origine. Afin d’éviter une utilisation dévoyée de ce certificat au service de pratiques de « dumping social », la CJUE a affiné sa jurisprudence et permet au juge de l’État membre d’accueil du travailleur détaché d’écarter le certificat A1 en cas de fraude. Explications.

En principe, le certificat A1 ne peut pas être unilatéralement écarté par le juge national

Au printemps 2017, dans le prolongement de sa jurisprudence habituelle, la CJUE avait considéré que le certificat A1, en ce qu’il crée une présomption de régularité de l’affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité sociale de l’État membre d’origine, s’impose à l’institution compétente de l’État membre d’accueil. Une juridiction de l’État membre d’accueil n’est donc pas habilitée à remettre en cause la validité d’un certificat A1.

Dès lors, aussi longtemps que le certificat n’est pas retiré ou déclaré invalide, l’institution compétente de l’État d’accueil doit tenir compte du fait que le travailleur détaché est déjà soumis à la législation de sécurité sociale de l’État d’origine et ne peut donc le soumettre à son propre régime de sécurité sociale (CJUE 27 avril 2017, aff. C-620/15, A-Rosa Flussschiff GmbH).

La Cour de cassation française, qui était à l’origine de cette affaire, en avait à cet égard conclu que ni une URSSAF ni le juge français ne peuvent remettre en cause un formulaire A1 sans passer par les voies de recours prévues par le droit européen (cass. ass. plén. 22 décembre 2017, n° 13-25467 PBRI ; http://rfsocial.grouperf.com/depeches/40635.html#).

Ainsi, en cas de doute sur la validité d’un certificat A1, l’institution de l’État membre d’accueil doit se tourner vers l’institution de l’État membre d’origine qui l’a délivré, afin que celle-ci reconsidère le bien-fondé de cette délivrance et, le cas échéant, retire le certificat.

En l’absence d’accord sur l’appréciation des faits litigieux, l’institution de l’État membre d’accueil doit saisir la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (devenue commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale). Si celle-ci ne parvient pas à concilier les points de vue, l’État d’accueil peut engager une procédure en manquement devant la CJUE.

Une exception : fraude avérée et inertie de l’institution émettrice du certificat

L’application de ces règles ne doit toutefois pas conduire à ce que les justiciables puissent frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de l’Union européenne, indique la CJUE dans son arrêt du 6 février 2018. Ce faisant, la CJUE assouplit sa jurisprudence en y apportant une exception.

L’affaire concernait une entreprise belge qui n’employait quasiment pas de personnel et faisait appel, pour certaines de ses tâches, à des entreprises bulgares…. lesquelles n’avaient pratiquement aucune activité en Bulgarie et détachaient leurs salariés en Belgique sous couvert de formulaires A1.

Le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit conduit à considérer que les règles fixées par le droit européen ne sauraient être appliquées de manière dévoyée en vue de « couvrir des opérations qui sont réalisées dans le but de bénéficier frauduleusement ou abusivement des avantages prévus par le droit de l’Union » (ici, le maintien de l’affiliation du travailleur détaché au système de sécurité sociale du pays d’origine, à savoir la Bulgarie).

Ainsi, la CJUE admet que le juge de l’État d’accueil peut, dans le cadre d’une procédure diligentée contre une personne soupçonnée d’avoir eu recours à un travailleur détaché sous le couvert d’un certificat A1, écarter ce dernier s’il constate qu’il a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse.

Mais à une condition : que l’institution d’origine émettrice du certificat A1 ait été saisie d’une demande de réexamen et de retrait à la lumière d’éléments laissant à penser qu’il a été obtenu de manière frauduleuse, et que cette institution se soit abstenue de prendre en considération ces éléments dans un délai raisonnable.

La CJUE admet donc qu’en cas d’inertie de l’institution émettrice, le juge national peut écarter l’application du certificat A1 si, au final, la fraude est établie.

Preuve de la fraude

La preuve de la fraude suppose la réunion de deux éléments :

-d’une part, que les conditions requises aux fins de l’obtention et de l’invocation d’un certificat A1 ne soient pas remplies (élément objectif) ;

-d’autre part, que l’intéressé ait intentionnellement contourné ou éludé les conditions de délivrance du certificat, en vue d’obtenir l’avantage qui y est attaché (élément subjectif).

Il appartient également au juge national de déterminer si la personne soupçonnée d’avoir eu recours à un travailleur détaché sous le couvert d’un certificat obtenu de manière frauduleuse est susceptible de voir sa responsabilité engagée sur la base du droit national applicable.

La CJUE souligne qu’avant toute décision du juge national, la personne soupçonnée doit disposer de la possibilité de réfuter les accusations portées contre elle, dans le respect des garanties liées au droit à un procès équitable.

CJUE 6 février 2018, aff. C-359/16, Altun e. a. ; http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=199097&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=408796

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