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Contrat de travail

Comment le conseil de prud’hommes de Paris a requalifié en contrat de travail la situation d’un chauffeur exerçant sous statut d’auto-entrepreneur

Le statut d’auto-entrepreneur ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’un contrat de travail lorsque le demandeur en établit les caractéristiques. Des entreprises ont déjà eu à subir de lourds redressements URSSAF (cass. civ., 2e ch., 7 juillet 2016, n° 15-16110 FSPB, 2e moyen), sans même parler du risque pénal lié au travail dissimulé (cass. crim. 15 décembre 2015, n° 14-85638 FPB).

Le 20 décembre 2016, le Conseil de prud’hommes de Paris a requalifié en contrat de travail la relation existant entre un chauffeur exerçant sous statut d’auto-entrepreneur et une société spécialisée dans le transport de voyageurs.

Même s’il s’agit uniquement d’un jugement d’une juridiction de première instance, l’affaire entre en résonance avec les débats autour du statut des chauffeurs de VTC.

Les arguments des uns et des autres

Dans l’affaire en cause, le chauffeur justifiait la requalification sur la base des points suivants :

-il n’était pas indépendant dans l’exercice de son activité et il était intégré dans un service organisé par la société au travers du choix du modèle de véhicule et des outils de téléphonie ;

-il était sous la hiérarchie de la société dont il recevait des directives et qui le contrôlait notamment dans son comportement, sa tenue vestimentaire et dans ses heures de travail ;

-il était placé dans une situation d’exclusivité de clientèle avec l’impossibilité de se constituer une clientèle personnelle.

De son côté, la société s’opposait à la reconnaissance du contrat de travail. Entre autres arguments, elle mettait notamment en avant les points suivants :

-les contrats d’adhésion au système informatisé et de location de voiture avaient été signés par l’intéressé en connaissance cause en qualité d’auto-entrepreneur ;

-le prestataire avait le choix de ses jours d’activité et de ses jours de repos, de se connecter ou pas à la plate-forme, de l’organisation de sa course ;

-l’acceptation des courses était à la libre discrétion des chauffeurs partenaires ;

-les relevés hebdomadaires d’activité du chauffeur démontraient la grande variation de ses temps de travail ;

-etc.

Le Conseil de prud’hommes est reparti des fondamentaux

Pour aboutir à la requalification, le Conseil de prud’hommes est reparti des bases du droit du travail.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté des parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. À cet égard, le statut d’auto-entrepreneur ne constitue pas une présomption « irréfragable » s’opposant en toute hypothèse au salariat (en clair, il est possible de la renverser).

La subordination s’entend de l’autorité du pouvoir de direction et de contrôle de l’employeur sur le salarié à l’occasion de l’exécution de la prestation de travail.

En l’espèce, les juges ont estimé que les obligations mises à la charge du prestataire dépassaient notablement les obligations pouvant être imposées dans le cadre d’une location de véhicule.

En outre, la liberté de trouver une clientèle distincte de celle la société était rendue inexistante par le fait que le chauffeur est interdit de maraude et par le fait qu’il lui est interdit de recourir à une société concurrente, si bien qu’il ne dispose d’aucune possibilité de trouver une clientèle.

Or, l’impossibilité d’accéder à une clientèle distincte constituait, pour, le Conseil de prud’hommes, un obstacle rédhibitoire au maintien du statut d’auto-entrepreneur.

En conséquence, la relation entre le chauffeur et la société a été jugée comme ne relevant pas de la libre entreprise mais du salariat, et donc d’un contrat de travail.

On notera qu’à partir du 1er mars 2017, la loi interdira aux centrales de réservations d’imposer des clauses d’exclusivité aux conducteurs, sous réserve de dérogations (c. com. art. L. 420-2-2 et L. 420-4 au 1.03.2 017 ; loi 2016-1920 du 29 décembre 2016, art. 3, JO du 30). À notre sens, cela ne suffira pas à exclure les risques de requalification, puisqu’il restera possible pour un demandeur de se fonder sur d’autres arguments pour prouver le lien de subordination.

En l’espèce, si le Conseil de prud’hommes a jugé que l’argument de la clause d’exclusivité était rédhibitoire, il ne s’est pas uniquement fondé là-dessus.

L’indemnité pour travail dissimulé

Le Conseil de prud’hommes a estimé que le recours au statut d’auto-entrepreneur avait été choisi par la société dans le but d’échapper aux contraintes du code du travail, alors que dans le même temps, elle imposait à ses partenaires des obligations dont elle ne pouvait ignorer qu’elles étaient caractéristiques du contrat de travail.

Poursuivant sur leur lancée, les juges ont estimé que le statut d’auto-entrepreneur auquel, dans un premier temps, le chauffeur avait adhéré, ne permet pas d’écarter le caractère intentionnel de la dissimulation d’emploi de la part de l’employeur dans la mesure où les contrats ont été établis exclusivement par la société qui, qui en avait rédigé les termes à sa seule convenance.

Et la note ?

Pour la petite histoire, on notera que le salarié a notamment obtenu :

-645,53 € de rappels de salaire (différence entre le chiffre d’affaires net perçu et le salaire de référence de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires) ;

-1 037,26 € d’indemnité de congés payés ;

-8 087,12 € au titre d’heures supplémentaires ;

-4 513,74 € au titre du repos compensateur ;

-2 415,46 € de rappels de salaire pour dimanches et jours fériés travaillés ;

-1 759,84 € d’indemnités de repas ;

-965 € d’indemnité de costume ;

-8 890,86 € d’indemnité pour travail dissimulé ;

-la délivrance de bulletins de paye pour la période concernée.

Conseil de prud’hommes de Paris, 20 décembre 2016, RG n° F 14/16389

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