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Accuser de mauvaise foi son supérieur de harcèlement justifie un licenciement

Les situations de harcèlement moral (c. trav. art. L. 1152-1) ne peuvent pas laisser l’entreprise indifférente, quel qu’en soit le contexte (d’un supérieur envers d’un subordonné, d’un salarié envers son supérieur ou entre collègues sans lien hiérarchique). L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser ces situations (cass. soc. 21 juin 2006, n° 05-43914, BC V n° 223).

Attention à la mauvaise foi dans les accusations de harcèlement

D’une manière générale, la législation et la jurisprudence sont construites de façon à protéger les victimes de harcèlement (ex. c. trav. art. L. 1152-2 sur l’interdiction des mesures discriminatoires, c. trav. art. L. 1152-3 sur la nullité de la rupture du contrat de travail, c. trav. art. L. 1154-1 sur les règles de preuve).

En particulier le fait pour un salarié de se tromper dans l’appréciation d’une situation et de dénoncer à tort des faits de harcèlement n’est pas en soi sanctionnable (cass. soc. 10 juin 2015, n° 13-25554 FSPB).

Sauf lorsque la mauvaise foi est caractérisée… auquel cas l’employeur retrouve la plénitude de son pouvoir disciplinaire.

À cet égard, la jurisprudence fournit des cas concrets de salariés sanctionnés par un licenciement, éventuellement pour faute grave, en raison de leur mauvaise foi :

-manœuvre frauduleuse ayant consisté à adresser à son supérieur hiérarchique deux lettres lui imputant faussement des actes de harcèlement moral et à poursuivre en justice, sur le fondement de ces accusations, la résolution de son contrat de travail (cass. soc. 18 février 2003, n° 01-11734 D) ;

-dénonciation mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser du cadre responsable de son département (cass. soc. 6 juin 2012, n° 10-28345, BC V n° 172) ;

-accusations calomnieuses s’inscrivant dans une campagne de déstabilisation du supérieur hiérarchique et de l’employeur (cass. soc. 28 janvier 2015, n° 13-22378 D).

Nouvelle illustration dans un arrêt du 7 décembre 2016

Un arrêt d’espèce de la Cour de cassation du 7 décembre 2016 donne une illustration supplémentaire des limites à ne pas dépasser en matière d’accusation de harcèlement, en particulier à la lumière des moyens annexés.

Après avoir été licenciée pour faute suite à des accusations de harcèlement, une salariée avait attaqué son employeur pour obtenir, notamment, l’annulation de son licenciement ainsi que des dommages et intérêts.

L’histoire est édifiante (salarié ayant accusé son supérieur de harcèlement pour obtenir le paiement de notes de frais), avec pour originalité que l’employeur a pu invoquer pour sa défense une enquête du CHSCT, tant sur le fond que pour faire tomber la prescription disciplinaire.

Début février 2011, la salariée s’était plainte de l’attitude de son supérieur, selon elle menaçante (retrait du véhicule de fonction) et méprisante (refus de rembourser des notes de frais), qu’elle avait qualifiée de harcèlement moral. Elle prétendait en outre que ce n’était pas une première et demandait la clarification de la situation.

La direction de l’entreprise a donc mené des investigations. Elle a notamment pris en compte une enquête menée par le CHSCT, matérialisée dans un compte rendu du 28 avril 2011 relevant que, de l’avis général des personnes entendues, le supérieur était « incapable d’exercer un quelconque harcèlement envers qui que ce soit », qu’il restait « à l’écoute de son équipe mais en aucun cas ne signera quelque document que ce soit si cela n’est pas justifié » et qu’il ne semblait pas « y avoir eu de scènes de discordes avec ses collaborateurs ou toute autre personne ». La direction avait considéré que l’intéressé n’avait pas adopté, à plusieurs reprises, un comportement méprisant et menaçant à l’égard de la salariée.

Plus encore, il semble que la salariée était coutumière des faits. En 2005, elle avait déjà dénoncé des faits de harcèlement à l’encontre d’un autre supérieur, dénonciation qui avait abouti au licenciement de l’intéressé, finalement jugé sans cause réelle et sérieuse par les prud’hommes au motif que la plupart des attestations étaient rédigées par la salariée elle-même. Rebelote en 2007, cette fois après des refus de jours de RTT et de congés.

Bref, au final, après la nouvelle affaire de février 2011, l’employeur avait licencié la salariée pour faute en raison de sa mauvaise foi dans la dénonciation du harcèlement (convocation à l’entretien préalable le 31 mai 2011, lettre de licenciement du 17 juin).

La salariée a tenté de se défendre en arguant que la prescription disciplinaire de 2 mois était déjà écoulée à la date d’engagement des poursuites disciplinaires, puisque la dénonciation des faits de harcèlement remontait au début février 2011.

Après avoir constaté que les faits dénoncés par la salariée ne se bornant pas à l’incident du 9 février 2011 devaient être vérifiés par l’employeur, la cour d’appel a pu estimer que dernier n’avait eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits de dénonciation de mauvaise foi reprochés à la salariée qu’à la suite du compte-rendu de l’enquête du CHSCT, le 28 avril 2011. Dès lors, au 31 mai 2011 (date d’engagement de la procédure disciplinaire), le délai de prescription 2 mois n’était pas écoulé.

Plus généralement, la cour d’appel avait estimé, sur la base des éléments produits aux débats, que la salariée ne s’était pas bornée, ainsi qu’elle le prétendait, à saisir le directeur général après avoir essuyé une fin de non-recevoir pour le paiement de ses notes de frais. Au contraire, comme elle l’avait déjà fait auparavant, elle avait délibérément, pour obtenir satisfaction, inscrit sa revendication dans une dénonciation de faits de harcèlement, et ce non pas de façon informelle, par mail, comme en 2007, mais en adressant copie de son courrier à l’inspecteur du travail et en enjoignant son employeur d’effectuer une enquête, à défaut de quoi « elle se sentira obligée d’exposer les faits devant les institutions compétentes ». Lors de cette enquête, elle avait renchéri en indiquant aux membres du CHSCT que son supérieur n’était pas « maître de ses pulsions », là encore sans établir, ni même alléguer la réalité d’une telle accusation.

Cass. soc. 7 décembre 2016, n° 15-24420 D

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