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Accident du travail
Émettre des réserves motivées sur un AT : un exercice de plus en plus difficile, par Me Fabien Duffit-Dalloz
Plusieurs arrêts récents de cours d’appel illustrent la difficulté que peuvent constituer la rédaction et l’envoi à la CPAM de réserves motivées concomitamment à la déclaration d’un accident du travail. En effet, l’intransigeance dont font preuve certaines cours d’appel en matière de motivation et de modalités d’envoi de ces réserves motivées est source d’insécurité juridique, ce d’autant plus que la jurisprudence en la matière est souvent aléatoire. Cela doit donc inciter à la plus grande vigilance tant le chemin des réserves peut être parsemé d’embûches. Explications par Fabien Duffit-Dalloz, Avocat en droit social au barreau de Lyon .
La notion de réserves motivées
Si le code de la sécurité sociale ne donne toujours aucune définition des réserves motivées, la Cour de cassation a depuis longtemps pallié cette omission en énonçant que les réserves motivées s’entendent « de la contestation du caractère professionnel de l’accident par l’employeur » et « ne peuvent porter que sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère au travail » (cass. civ., 2e ch., 10 juillet 2008, n° 07-18110 FSPB).
La Cour de cassation a également précisé qu’au stade de la recevabilité des réserves, l’employeur n'était pas tenu d'apporter la preuve de leur bien-fondé. Ce sera précisément le but de l’enquête que devra diligenter la CPAM (cass. civ., 2e ch., 17 février 2022, n° 20-17767 FD).
L’intérêt d’émettre des réserves motivées
Délai impératif. - Pour rappel, depuis le 1er décembre 2019, les réserves doivent être adressées dans un délai de 10 jours francs à compter de la déclaration d’accident du travail ou de la transmission par la Caisse de la déclaration établie par l’assuré (c. séc. soc. art. R. 441-6).
Assurer le respect du contradictoire. - L’un des principaux intérêts des réserves motivées consiste à contraindre la CPAM à procéder à une instruction sur les circonstances de l’accident allégué.
Cela permet d’éviter une décision de prise en charge d’emblée de la part de la CPAM et d’instaurer, avant tout contentieux, un débat contradictoire. En effet, l’instruction donne à l’employeur l’occasion d’apporter des précisions sur les circonstances de l’accident allégué, de produire des témoignages ou de porter à la connaissance de la Caisse d’éventuels antécédents médicaux du salarié.
L’instruction permet, en outre, à l’employeur de consulter et télécharger le dossier constitué par la CPAM, à l’exception des pièces couvertes par le secret médical, ce qui peut souvent s’avérer intéressant en cas de contentieux ultérieur.
La sanction de l’inopposabilité de la décision. – En l’absence d’instruction diligentée par la CPAM malgré des réserves motivées transmises dans le délai de 10 jours francs, la sanction est l’inopposabilité à l’employeur de l’éventuelle décision de prise en charge de l’accident.
Les divergences de positions entre cours d’appel et Cour de cassation
Un contentieux abondant et contradictoire. – L’analyse des arrêts de diverses cours d’appel ainsi que de la jurisprudence de la 2e chambre civile de la Cour de cassation ne permet malheureusement pas de dégager de lignes directrices claires quant au degré de motivation des réserves attendu tant les différences de points de vue sont patentes entre les juridictions.
La mention d’un état pathologique préexistant. – La Cour de cassation s’est prononcée à plusieurs reprises sur la recevabilité des réserves qui se fondent exclusivement sur l’existence d’un état pathologique antérieur. Pour la Haute juridiction, cette seule mention revient à considérer que l’accident procédait d’une cause totalement étrangère au travail et vaut donc réserves motivées (cass. civ., 2e ch., 9 mars 2017, n° 16-24678 FD ; cass. civ., 2e ch., 17 mars 2022, n° 20-21642 FD).
Un avis qui n’est pas partagé par les cours d’appel de Rouen et de Rennes qui ont récemment estimé que la référence à un état pathologique préexistant n’équivaut pas à des réserves portant sur les circonstances de temps et de lieu de l’accident ou sur l’existence d’une cause totalement étrangère (CA Rouen, ch. soc., 10 mars 2021, n° 18/00306 ; CA Rennes, 9e ch. soc., 30 mars 2022, n°19/02352).
La mention d’une absence de témoin. – De même, au sujet de la seule mention relative à l’absence de témoin au moment de l’accident allégué, les positions divergent.
Si la Cour de cassation estime que les réserves se fondant exclusivement sur l’absence de témoin sont motivées (cass. civ., 2e ch., 8 novembre 2018, n° 17-22527 FD), la cour d’appel de Paris ne partage pas cette analyse et estime qu’il s’agit de réserves « laconiques » non motivées (CA Paris, Pôle 6, ch. 13., 17 décembre 2021, n° 18/11194).
L’audace de la cour d’appel de Poitiers. – La cour d’appel de Poitiers s’illustre tout particulièrement quant à son niveau d’exigence sur le degré de motivation des réserves.
Par deux arrêts récents, la cour a en effet imposé à l’employeur d’apporter, lors de la rédaction des réserves, « des éléments ou indices de nature à mettre en doute la réalité de l’accident survenu et l’imputabilité des lésions au travail ».
Cette position audacieuse revient presque à faire peser sur l’employeur, dès le stade des réserves, le travail d’instruction qui incombe en principe à la CPAM (CA Poitiers, ch. soc., 21 octobre 2021, n° 19/02623 ; CA Poitiers, ch. soc., 14 avril 2022, n° 20/01731).
L’envoi des réserves motivées : un exercice qui n’est pas sans risque
Les réserves doivent être adressées par tout moyen permettant de conférer date certaine à leur réception (c. séc. soc. art. R. 441-6).
En pratique, l’espace consacré aux réserves tant sur le formulaire CERFA de la déclaration d’accident que sur le site net-entreprises étant limité, il est fortement conseillé de rédiger les réserves sur papier libre et de les transmettre à la CPAM par courrier recommandé avec avis de réception.
Veillez toutefois à faire référence, dans l’encart consacré aux réserves motivées, au courrier recommandé que vous adressez en parallèle de la DAT. Il s’agit en effet du moyen le plus sûr pour éviter toute difficulté comme en témoigne un arrêt de la cour d’appel de Paris (rendu avant l’entrée en vigueur du décret 2019-356 du 23 avril 2019 ayant institué le délai de 10 jours francs pour émettre des réserves).
Cette dernière a jugé qu’en l’absence d’élément permettant de justifier l’envoi dématérialisé du courrier de réserves que l’employeur avait indiqué avoir joint à sa déclaration via net-entreprises, la CPAM n’avait pas à s’assurer de la réalité d’une transmission effective par la société de la lettre de réserves (CA Paris, Pôle 6, ch. 12., 27 mai 2022, n° 19/03725).
Il convient enfin de s’assurer que vous adressez vos réserves à la CPAM compétente, à savoir celle dont relève la victime de l’accident (c. séc. soc. art. L. 441-2).
Un courrier de réserves transmis à une CPAM incompétente peut avoir de lourdes conséquences puisque, contrairement à la déclaration d’accident du travail, la Caisse n’est pas tenue de réadresser le courrier séparé à la Caisse compétente (CA Paris, Pôle 6, ch. 12,. 10 juin 2022, n° 18/08892).
Que ce soit tant au stade de la rédaction que de l’envoi de vos réserves motivées à la CPAM, la vigilance est donc de mise.