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Contentieux : trop d'ironie du juge peut nuire à son impartialité, même dans une affaire de photos érotiques prises au travail

La Cour de cassation censure un arrêt d’appel qui avait cru pouvoir traiter avec ironie une affaire de licenciement consécutif à la divulgation de photos érotiques prises sur le lieu de travail… en l’occurrence un magasin de vente de matelas. L'employeur, qui avait été condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pourra voir son affaire rejugée.

À quoi reconnaît-on un jugement partial ?

L’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales impose au juge d’être impartial. Dans le cas du contentieux en droit du travail, le conseil de prud’hommes ne doit donc pas afficher un quelconque parti pris en faveur du salarié ou de l’employeur.

À la lecture d’un certain nombre de décisions rendues en la matière, on constate que c’est parfois moins l’argumentaire juridique que le ton employé qui révèle la partialité du juge.

Telle décision mettra ainsi en avant les prétentions « indécentes » et « exorbitantes » d’un représentant du personnel qui a toujours su « tirer profit de statut syndical » (cass. soc. 8 avril 2014, n° 13-10209, BC V n° 98), tandis qu’une autre fustigera le comportement d’un employeur qui a porté « l’estocade finale » à un salarié, laissé « impuissant et à sa merci » (cass. soc. 12 juin 2014, n° BC V n° 13-16236, BC V n° 141).

Cependant, comme l’illustre l’affaire qui suit, la partialité peut aussi résulter d’une analyse trop distanciée des faits...

Un licenciement consécutif à la diffusion de photos érotiques prises sur les matelas du magasin

Une salariée, vendeuse dans un magasin de matelas, avait été licenciée à la suite de la diffusion de photos érotiques : son amant d’alors, également salarié de l’établissement, l’avait à plusieurs reprises photographiée en sous-vêtements suggestifs sur les matelas du magasin, au moment de la pause déjeuner.

Et il ne faisait apparemment aucun doute, du moins dans l’esprit des juges de fond (voir ci-après), que les deux salariés avaient ensuite eu des rapports sexuels.

Les deux amants avaient ensuite été licenciés, lui en 2017 pour faute grave après avoir notamment dénigré son entreprise sur Facebook, elle en 2013 à la suite de la diffusion des photos érotiques (sans que l’on sache précisément si le salarié avait divulgué ces photos pour porter préjudice à son ex-employeur ou à la salariée, les deux amants ayant rompu).

La salariée a ensuite contesté son licenciement, et c’est cette contestation qui a fini par arriver devant la Cour de cassation, laquelle s’est prononcée le 14 juin 2023.

Pour la cour d’appel, un licenciement injustifié, car une simple affaire de gaudriole

Condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. - Le licenciement reposant sur des faits relevant a priori de la vie personnelle de la salariée, l’employeur avait mis en avant les perturbations engendrées par la diffusion de ces photos sur le fonctionnement de l’entreprise.

La cour d’appel avait cependant conclu à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans un argumentaire dont nous reproduisons de larges extraits (voir encadré), car les termes et le ton employés ont leur importance.

Un simple « usage abusif du matériel de l’entreprise », sans grande conséquence. - Le moins que l’on puisse dire, c’est que les termes de l’arrêt d’appel n’étaient pas sans ironie (pour le détail, voir encadré).

Les juges ont par exemple pointé un comportement de la salariée qui « répondant certainement aux appels impérieux d'une conscience professionnelle sans faille, allait bientôt être animée du désir irrépressible d'apprécier à leur juste mesure, par l'emploi de [procédés] jusque-là, semble-t-il inusités dans le magasin, les qualités du matelas dont par ailleurs elle devait vanter les mérites en raison de ses fonctions de vendeuse, s'assurant par la même occasion que le titre ''Roi du matelas'' dont se parait son employeur n'était point usurpé ».

Relevant que en outre qu’il n’était pas établi que les ébats aient pu avoir lieu durant les horaires de travail dans la mesure où la société reprochait à l’intéressée « d’avoir mis à profit sa pause déjeuner pour s’adonner à des plaisirs autres que ceux de la table », la cour d’appel en arrivait à la conclusion que « les ébats imputés à la salariée ne débordant pas de la sphère de sa vie privée, il ne pouvait être retenu à sa charge que l'usage amplement abusif du matériel de l'entreprise sans le consentement de son employeur ».

Deux poids, deux mesures : un employeur jugé « complaisant ». – À l’opposé, la cour d’appel avait relevé que « la salariée avait subi ''d'inadmissibles actes de vengeance'' suite à sa rupture avec M. [X] ».

Or, « la cour ne peut que manifester son étonnement face à la particulière complaisance dont a fait preuve l'employeur envers M. [X] qu'elle avait pourtant licencié le 19 juin 2013 pour des fautes graves consistant en la tenue de propos diffamatoires, injurieux et mensongers envers la société et sa hiérarchie par le biais du réseau social ''Facebook'', et dont les actes de délation ont constitué le fondement principal de la présente procédure ».

Selon les juges d’appel, le comportement de l’employeur envers cet individu, qui – dixit – « poursuivait de sa vindicte [la salariée] avec un acharnement suspect s'apparentait même à de la complicité ».

Et de poursuivre que cette attitude de complaisance était « d'autant moins compréhensible que M. [X] s'était abandonné, sur le site ''Custplace'', destiné à recueillir les avis des clients de la société sur ses produits, à des révélations sulfureuses reproduites dans la lettre de licenciement ».

Un arrêt d’appel qui, sous couvert d’ironie, minimisait les faits reprochés à la salariée

Dans un arrêt sans fioritures, la Cour de cassation rappelle l’exigence d’impartialité, cite de très larges extraits de l’arrêt de la cour d’appel, puis conclut sèchement à des « termes manifestement incompatibles avec l’exigence d’impartialité ». La décision est donc cassée et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel, autrement composée, pour être rejugée.

Devant la Cour de cassation, l’employeur avait mis en avant « l’ironie déplacée » dont avait fait preuve la cour d’appel.

Et, effectivement, si l’on peut s’amuser de l’exercice de style auquel se sont livrés les juges du fond dans la rédaction de l’arrêt, cette ironie n’est, à notre sens, pas tout à fait innocente, car elle tendait à minimiser les actes commis par la salariée.

En traitant l’affaire sous l’angle de la gaudriole puis en soulignant, plus sérieusement, la complaisance de l’employeur vis-à-vis du salarié auteur des clichés, la cour d’appel avait apparemment choisi son camp.

Cela dit, à la lecture des faits, on ne saurait préjuger de l’arrêt qui sera rendu sur renvoi : la cour d’appel peut à nouveau conclure à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme elle peut le juger justifié. L’essentiel est que les juges du fond analysent méthodiquement les griefs invoqués à l’encontre de la salariée.

Des extraits de l’arrêt de la cour d’appel
• « [L]'adoption complaisante de postures galantes, voire certaines lascives, par l'appelante s'exhibant dans des sous-vêtements suggestifs sous l'objectif de son amant, soucieux d'immortaliser ces rares instants par des photographies versées aux débats, ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il ne s'agissait que de préludes »
• « La salariée, répondant certainement aux appels impérieux d'une conscience professionnelle sans faille, allait bientôt être animée du désir irrépressible d'apprécier à leur juste mesure, par l'emploi de [procédés] jusque-là, semble-t-il inusités dans le magasin, les qualités du matelas [Y] dont par ailleurs elle devait vanter les mérites en raison de ses fonctions de vendeuse »
• « Il est manifeste que les photographies dont il a été question précédemment ont bien été prises dans un stand du magasin exposant les différents produits de la société puisqu'il n'a pas échappé à la sagacité de cette dernière qu'y apparaissaient le nom et le prix du modèle essayé pour la circonstance »
• « Si les effusions échevelées auxquelles ont pu se livrer l'appelante et son amant et dont M. [X] souligne avec impudeur la multiplicité, pouvaient ne pas être sans conséquence sur l'intégrité des différents matelas qui en ont été le théâtre, il n'est nullement démontré que ces derniers en aient réellement souffert au point d'en être rendus inutilisables, comme le soutient ce dernier avec malignité »
• « Il n'est pas davantage établi qu'elles aient pu avoir lieu durant les horaires de travail et qu'elles aient perturbé le fonctionnement de l'entreprise puisque dans la lettre de licenciement la société reproche à l'appelante d'avoir mis à profit sa pause déjeuner pour s'adonner à des plaisirs autres que ceux de la table »
• « Toutefois les ébats imputés à la salariée ne débordant pas de la sphère de sa vie privée, il ne peut être retenu à sa charge que l'usage amplement abusif du matériel de l'entreprise sans le consentement de son employeur ».

Cass. soc. 14 juin 2023, n° 21-23107 D ; https://www.courdecassation.fr/decision/64895bd66926a605db238e38