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Reçu pour solde de tout compte

Lorsque le salarié ne signe pas le reçu pour solde de tout compte, que vaut ce document et quel effet a-t-il sur la prescription ?

Dans une affaire jugée le 14 novembre 2024, la Cour de cassation s’est penchée sur le cas d’un salarié qui réclamait des sommes plusieurs années après son licenciement, en faisant valoir que la prescription n’avait jamais commencé à courir dans la mesure où il n’avait pas pu signer le reçu pour solde de tout compte du fait de son incarcération. À cette occasion, la Cour a précisé quelle était la valeur d’un reçu pour solde de tout compte non signé, tant par rapport à la prescription qu’en termes de preuve du paiement des sommes indiquées.

Reçu pour solde de tout compte : rappels

L’employeur doit établir un reçu pour solde de tout compte à l’occasion de toute rupture du contrat de travail en double exemplaire, dont l’un est remis au salarié (c. trav. art. L. 1234-20 et D. 1234-7 ; circ. DGT 2009-5 du 17 mars 2009). Le salarié n’a pas l’obligation de le signer.

Lorsque le salarié signe le reçu pour solde de tout compte, celui-ci peut être dénoncé par lettre recommandée dans les 6 mois qui suivent sa signature. À défaut de dénonciation dans ce délai, il devient libératoire pour l’employeur concernant les sommes qui y sont mentionnées (c. trav. art. L. 1234-20 et D. 1234-8). Cela signifie que faute de l'avoir dénoncé dans les 6 mois, le salarié ne peut plus contester les sommes indiquées (cass. soc. 30 avril 2014, n° 12-29454 D).

Si le salarié refuse de signer le reçu pour solde de tout compte, ou s’il le signe avec des réserves, ce reçu n'a pas de valeur libératoire (cass. soc. 26 février 1985, n° 82-42807, BC V n ° 117).

L’affaire : un reçu pour solde de tout compte non signé, un salarié incarcéré

Un salarié avait été licencié pour motif disciplinaire par lettre du 11 avril 2013, avec dispense d'exécution de son préavis de 2 mois. Le contrat de travail avait pris fin le 13 juin 2013 à l'issue du préavis, et l'employeur avait établi le solde de tout compte et les documents de fin de contrat à cette date.

Le 7 décembre 2017, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale de plusieurs demandes, notamment en paiement de diverses sommes au titre du solde de tout compte.

Le salarié n’avait jamais signé le reçu pour solde de tout compte, ce qu'il justifiait par son incarcération intervenue entre le 25 juin 2013 et le 22 juin 2017. De ce fait, le salarié faisait valoir que le reçu n’avait produit aucun effet libératoire et qu'aucune prescription n'avait commencé à courir.

Il faut souligner qu’en 2013 (entre la date des faits de cette affaire et la date de l’action en justice), une loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2023 avait réduit de 5 ans à 2 ans le délai de prescription des actions portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail (c. trav. art. L. 1471-1 dans sa version issue de la loi 2013-504 du 14 juin 2013, art. 21, JO du 16).

Attention : le délai de prescription des actions portant sur la rupture du contrat de travail a été à nouveau abaissé et est fixé à 12 mois depuis le 22 septembre 2017. Pour les actions en exécution du contrat de travail, il est toujours de 2 ans.

Dans cette affaire, la cour d’appel avait considéré que la demande du salarié était bien recevable dans la mesure où il « demandait simplement » que lui soit versée l'indemnité de licenciement figurant sur le reçu pour solde de tout compte.

Pour la cour, le solde de tout compte n'ayant jamais été signé par le salarié en raison de son incarcération du 25 juin 2013 au 22 juin 2017, il était dénué d'effet libératoire, si bien que la prescription n'avait jamais commencé à courir.

La société s’est pourvue en cassation.

Le solde de tout compte non signé par le salarié n'a pas valeur de preuve de paiement et n’a aucun effet sur le délai de prescription

La Cour de cassation commence par rappeler les règles applicables.

Le reçu pour solde de tout compte fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail. Le reçu peut être dénoncé dans les 6 mois qui suivent sa signature par le salarié, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées (c. trav. art. L. 1234-20).

Puis la Cour rappelle les dispositions applicables à l’époque des faits en matière de prescription des actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail (deux ans à l’époque, étant entendu que ce délai s’appliquait aussi aux prescriptions en cours à la loi date de promulgation de la loi du 14 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la législation antérieure).

Pour la Cour, il en résulte que le reçu pour solde de tout compte non signé par le salarié, qui n'a pas valeur de preuve du paiement des sommes qui y sont mentionnées, n'a aucun effet sur le délai de prescription, lequel ne court pas ou n'est suspendu qu'en cas d'impossibilité d'agir à la suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

Or dans cette affaire, pour déclarer recevable l'action du salarié, les juges d’appel avaient retenu que le solde de tout compte, que le salarié n'avait jamais signé en raison de son incarcération du 25 juin 2013 au 22 juin 2017, n'avait produit aucun effet libératoire et qu'aucune prescription n'avait commencé à courir.

À tort pour la Cour de cassation, dès lors que les juges d’appel avaient constaté que la prescription s'était appliquée à compter du 16 juin 2013, le salarié ayant jusqu'au 16 juin 2015 pour engager une action portant sur l'exécution et la rupture du contrat de travail, sans caractériser une cause d'interruption ou de suspension du délai de prescription.

Par conséquent, l’affaire est renvoyée devant une autre cour d’appel pour être rejugée sur ce point.

Cass. soc. 14 novembre2024, n° 21-22540 FB https://www.courdecassation.fr/decision/6735a2a28bdc6c39ccf79922