Social
Salariés seniors et CSE
Ce que prévoit le projet de loi sur l'emploi des seniors et le dialogue social présenté en Conseil des ministres
Le projet de loi visant à transposer les deux accords nationaux interprofessionnels (ANI) sur l'emploi des seniors et le dialogue social été présenté en Conseil des ministres le 7 mai 2025. Côté seniors, ce texte institue notamment une nouvelle négociation obligatoire sur l'emploi des salariés expérimentés, un « contrat de valorisation de l'expérience » et un dispositif de temps partiel de fin de carrière. En matière de dialogue social, il supprime la limite du nombre de mandats successifs des élus du CSE. Son examen au Parlement débutera en séance publique le 4 juin prochain au Sénat.
Transposition des deux ANI « emploi des seniors » et « dialogue social » et anticipation d’un éventuel ANI sur les « transitions professionnelles »
Pour rappel, le 14 novembre 2024, les partenaires sociaux ont conclu trois accords :
-un ANI en faveur de l’emploi des salariés expérimentés (dit ANI sur l’emploi des seniors) (voir notre actu du 15/11/2024, « Les partenaires sociaux ont finalisé la négociation sur l'emploi des seniors ») ;
-un ANI relatif à l’évolution du dialogue social (voir notre actu du 15/11/2024, « Un accord conclu en matière de dialogue social en marge de ceux trouvés sur le chômage et les seniors ») ;
-un avenant au protocole d’accord relatif à l’assurance chômage (voir notre actu du 18/11/2024, « Assurance chômage : un avenant au protocole d’accord de 2023 trouvé par les partenaires sociaux »).
Il y a quelques semaines, l’avant-projet de loi visant à transposer les deux ANI et prendre les mesures législatives nécessaires à la mise en œuvre de la nouvelle convention d’assurance chômage a été transmis au Conseil d’État (voir notre actu du 27/03/2025, « Emploi des seniors et CSE : un avant-projet de loi pour transposer les deux ANI de novembre 2024 »).
Le Conseil d’État ayant rendu son avis, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a présenté officiellement le projet de loi en Conseil des ministres le 7 mai 2025.
Notons que le projet de loi entend également anticiper le résultat de la négociation entre les partenaires sociaux sur les transitions professionnelles, récemment relancée. Le texte prévoit d’ores et déjà une habilitation du gouvernement à légiférer par ordonnance sur le sujet, sans dépendre de la conclusion de la négociation. Si la négociation aboutit, le gouvernement apportera par un amendement les dispositions nécessaires pour transposer l'ANI des partenaires sociaux.
Une nouvelle obligation de négocier sur l’emploi des « salariés expérimentés » pour les branches et les entreprises
Branches professionnelles et entreprises et groupes d’au moins 300 salariés. – Les négociations obligatoires organisées dans les branches professionnelles intégreraient un nouveau sujet : l’emploi et le travail des salariés expérimentés, en considération de leur âge (aussi appelé salariés « seniors ») (art. 1, 1°).
Côté employeurs, une nouvelle négociation sur l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés, en considération de leur âge, serait imposée aux entreprises et groupes d’entreprises d’au moins 300 salariés dotés d’au moins une section syndicale représentative (art. 2, 1°).
À noter : par rapport à l’avant-projet de loi, le projet de loi présenté en Conseil des ministres complète sur avis du Conseil d’État la notion de salariés expérimentés, en ajoutant « en considération de leur âge ». Il s’agit de préciser le sens de l’expression « salarié expérimenté » qui doit « s’entendre comme visant, non pas les salariés qui, indépendamment de leur âge, peuvent faire état d’une expérience confirmée dans une profession ou une technique, mais, par euphémisme, les salariés jusque-là qualifiés de « seniors » (avis du Conseil d’État, p. 2).
Périodicité et contenu de la négociation. - Au titre des règles d’ordre public, la périodicité de la négociation serait fixée à au moins une fois tous les 4 ans.
La branche ou l’entreprise pourrait, par un accord de méthode, retenir une périodicité différente sous réserve qu'elle n’excède pas 4 ans. L’accord de méthode préciserait également le contenu et les modalités de la négociation (art. 1, 3° et 4° + art. 2, 3°).
En l’absence d’accord de méthode, la négociation devrait être organisée tous les 3 ans et suivre le régime légal supplétif qui en fixe le contenu (art. 1, 5° + art. 2, 5° et 7°).
En application des dispositions supplétives (autrement dit en l’absence d’accord de méthode fixant un autre contenu), la négociation porterait sur :
-le recrutement des salariés expérimentés, en considération de leur âge ;
-leur maintien dans l’emploi ;
-l’aménagement des fins de carrière, en particulier les modalités d'accompagnement à la retraite progressive ou au temps partiel (voir ci-après) ;
-la transmission de leurs savoirs et compétences, en particulier les missions de mentorat, de tutorat et de mécénat de compétences.
En complément, mais à titre facultatif, la négociation pourrait aussi, s’agissant des mêmes salariés, porter notamment sur :
-le développement des compétences et l’accès à la formation ;
-les impacts des transformations technologiques et environnementales sur les métiers ;
-les modalités d’écoute, d’accompagnement et d’encadrement de ces salariés ;
-la santé au travail et la prévention des risques professionnels ;
-l’organisation et les conditions de travail.
Un décret préciserait les informations nécessaires à la négociation.
À noter : par rapport à l’avant-projet de loi, le projet de loi ne contient plus, au titre des thèmes complémentaires facultatifs, les thèmes relatifs aux « pratiques managériales mobilisables » et aux « relations sociales ».
Et pour les entreprises de moins de 300 salariés ? – Il n’y aurait pas de nouvelle négociation obligatoire pour les entreprises de moins de 300 salariés. En revanche, l’accord sur l’emploi des seniors conclu au niveau de la branche pourrait comporter un plan d’action type pour ces entreprises (art. 1, 2°).
Ce plan d’action serait décliné dans l’entreprise au moyen d’un accord collectif ou, à défaut, d'un document unilatéral de l’employeur qui serait appliqué après information-consultation du CSE, s’il existe, et des salariés, par tous moyens.
Modification de la négociation sur la GEPP. – Conséquence de la création d’une négociation à part entière sur l’emploi des salariés seniors, le contenu de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) organisée dans les entreprises et les groupes d’au moins 300 salariés, prévu au titre du régime légal supplétif, serait modifié.
La négociation sur la GEPP n’aurait plus à porter sur l'emploi des salariés âgés et la transmission des savoirs et des compétences ni l'amélioration des conditions de travail des salariés âgés (art. 2, 6°).
Préparer la deuxième partie de carrière du salarié dans le cadre des entretiens professionnels
Lier la visite médicale de mi-carrière et l’entretien professionnel biennal. – Le projet de loi prévoit de mieux lier la visite médicale de mi-carrière du salarié avec l’entretien professionnel qui a lieu tous les deux ans.
Ainsi, l’entretien professionnel devrait être organisé dans les 2 mois au plus suivant la visite médicale de mi-carrière (art. 3).
Les mesures d'aménagement du poste ou du temps de travail proposées le cas échéant par le médecin du travail seraient évoquées au cours de cet entretien.
Outre les sujets habituellement discutés en entretien professionnel (perspectives d'évolution professionnelle, etc.), cet entretien réalisé après la visite médicale de mi-carrière aborderait, s’il y a lieu :
-l’adaptation ou l’aménagement des missions et du poste de travail ;
-la prévention de situations d’usure professionnelle ;
-les besoins en formation ;
-et les éventuels souhaits de mobilité ou de reconversion professionnelle du salarié.
Pour préparer l’entretien, le salarié pourrait bénéficier de l’appui d’un conseiller en évolution professionnelle.
À l’issue de l’entretien, un document écrit devrait être établi, récapitulant sous forme de bilan l’ensemble des éléments abordés.
Une copie de ce document serait remise au salarié.
Aborder la fin de carrière à l’approche des 60 ans du salarié. – Le premier entretien professionnel intervenant dans les 2 années précédant le 60e anniversaire du salarié aborderait, outre les sujets habituels, les conditions de maintien dans l’emploi et les possibilités d’aménagements de fin de carrière, notamment de passage à temps partiel ou de retraite progressive (voir ci-après) (art. 3).
Mise en place temporaire d’un CDI de valorisation de l’expérience pour développer l’embauche des seniors
Caractéristiques du « contrat de valorisation de l’expérience ». - Pour lever les freins au recrutement des seniors, le projet de loi prévoit la mise en œuvre d’un « contrat de valorisation de l’expérience » pour une durée de 5 ans suivant la publication de la loi (art. 4).
Il s’agirait d’un contrat à durée indéterminée (CDI) qui pourrait être conclu avec tout demandeur d’emploi qui, au moment de son embauche et cumulativement :
-est âgé d’au moins 60 ans (ou d’au moins 57 ans si une convention ou un accord de branche étendu le prévoit) ;
-est inscrit à France Travail ;
-ne peut pas bénéficier d’une pension de retraite de base de droit propre à taux plein, sauf exceptions (régimes spéciaux, pension militaire) ;
-n’a pas été employé au sein de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient au cours des 6 mois précédents.
Les missions devant être exercées dans le cadre de ce contrat pourraient être précisées par convention ou accord de branche étendu.
Formalités d’embauche. - Lors de la signature du contrat, le salarié devrait remettre à l’employeur un document transmis par l’assurance retraite mentionnant la date prévisionnelle à laquelle il justifiera, le cas échéant, des conditions pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
En cas de réévaluation ultérieure de cette date, le salarié en informerait son employeur et lui transmettrait le document actualisé.
Possibilité de mise à la retraite d'office dès lors que les conditions d'âge et de pension sont remplies. – Dans le cadre de ce contrat, l’employeur pourrait mettre d’office le salarié à la retraite, sans recueillir son accord, à partir du moment où celui-ci a atteint :
-l’âge légal de départ à la retraite (compris entre 62 et 64 ans selon l’année de naissance) et remplit la durée d’assurance requise pour obtenir le taux plein ;
-ou l’âge légal d’attribution du taux plein automatique (67 ans).
À noter : par comparaison avec le régime de droit commun, l’employeur ne serait ici pas tenu de solliciter l’accord du salarié. En effet, dans le cadre du régime de droit commun, la mise à la retraite d'office n'est possible qu'à partir de 70 ans. Avant cet âge, l'employeur doit recueillir les souhaits du salarié et ne peut pas le mettre à la retraite sans son accord (c. trav. art. L. 1237-5).
L’employeur devrait respecter un délai de préavis identique à celui prévu en cas de licenciement et verser au salarié une indemnité de mise à la retraite au moins égale à l’indemnité légale de licenciement.
Attention, dans l’hypothèse où ni les conditions de la mise à la retraite précitées ne seraient réunies, ni les conditions du régime du droit commun, la rupture du contrat de travail par l'employeur constituerait un licenciement.
Exonération de la contribution patronale de 30 % sur l’indemnité de mise à la retraite. - L’employeur serait exonéré de la contribution patronale spécifique de 30 % sur le montant de l’indemnité de mise à la retraite versée à un salarié embauché sous contrat de valorisation de l’expérience qu’il déciderait ultérieurement de mettre à la retraite.
Ce dispositif d’exonération s’appliquerait pour une durée de 3 ans suivant la publication de la loi. Pour ceux qui s’étonneraient que l’exonération n’est prévue que pour 3 ans alors qu’il sera possible de conclure des contrats de valorisation de l’expérience dans les 5 ans suivant la publication de la loi, il faut savoir qu’il est impossible d’aller au-delà dans une loi ordinaire : c’est donc à une prochaine loi de financement de la sécurité sociale (celle pour 2026 ?) de mettre la durée de l’exonération en phase avec celle du dispositif.
À noter : pour mémoire, l’employeur qui met un salarié à la retraite est en principe redevable d’une contribution de 30 % due sur la fraction d'indemnité de mise à la retraite exonérée de cotisations de sécurité sociale (assujettie ou non à CSG/CRDS) (c. séc. soc. art. L. 137-12).
Mise en place d’un temps partiel de fin de carrière financé en tout ou partie par l’indemnité de départ en retraite du salarié
Un dispositif de temps partiel de fin de carrière, financé en tout ou partie par la future indemnité de départ à la retraite du salarié, pourrait être organisé par accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, par accord de branche (art. 6).
Ce passage à temps partiel s’effectuerait à la demande du salarié et en accord avec l’employeur.
L’accord pourrait prévoir la possibilité d’affecter l’indemnité de départ à la retraite au maintien total ou partiel de la rémunération du salarié en fin de carrière lorsque celui-ci passe à temps partiel, ou à temps réduit s’il est en forfait-jours.
La diminution de rémunération liée au passage à temps partiel serait ainsi compensée par l’affectation de l’indemnité de départ à la retraite.
Au moment du départ à la retraite, si le montant de l’indemnité de départ à la retraite qui aurait été due au salarié en l’absence de passage à temps partiel s’avère supérieur au montant des sommes affectées à son maintien de rémunération dans le cadre du passage à temps partiel, l’employeur lui verserait le reliquat.
À noter : les salariés bénéficiant de ce dispositif d’affectation de leur indemnité de départ à la retraite au maintien total ou partiel de leur rémunération n’auraient pas accès à la retraite progressive (art. 6, II).
Retraite progressive facilitée
La possibilité pour l’employeur de refuser au salarié une demande de retraite progressive serait davantage restreinte.
Selon les règles actuelles, le refus de l'employeur doit être justifié par l'incompatibilité de la durée de travail demandée par le salarié avec l'activité économique de l'entreprise (c. trav. art. L. 3123-4-1 et L. 3121-60-1).
La motivation du refus de l’employeur serait renforcée, puisque sa justification devrait rendre notamment compte des conséquences de la réduction de la durée de travail sollicitée sur la continuité de l’activité de l’entreprise ou du service, ainsi que, si elles impliquent un recrutement, des tensions pour y procéder sur le poste concerné (art. 5).
En outre, parallèlement au projet de loi, un projet de décret est « dans les tuyaux » afin d’ouvrir l’accès à la retraite progressive à partir de 60 ans pour les pensions de retraite prenant effet à compter du 1er septembre 2025. Cette mesure, prévue par l’ANI du 15 novembre 2024 sur les seniors, ne nécessite pas de disposition législative.
Cumul emploi-retraite sécurisé pour les entreprises
Afin de clarifier le dispositif du cumul emploi-retraite, il serait précisé que les dispositions sur la mise à la retraite peuvent bien être appliquées pour le recrutement d’un salarié qui a déjà atteint l’âge de la retraite à taux plein (art. 7).
Ainsi, le salarié retraité recruté en CDI se verrait appliquer l’ensemble des règles de droit commun relatives à la mise à la retraite à l’initiative de l’employeur.
À noter : il s’agit ici de sécuriser la situation des entreprises, notamment en contrant une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’employeur ne peut pas mettre à la retraite d'office un salarié qui, lors de son embauche, avait déjà atteint l’âge permettant une mise à la retraite (70 ans) (cass. soc. 17 avril 2019, n° 17-29017 FSPB ; cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-42165, BC V n° 174 ; cass. soc. 27 novembre 2024, n° 22-13694 FSB).
Élus du CSE : suppression de la limite de 3 mandats successifs
Actuellement, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, un élu du CSE ne peut pas exercer plus de 3 mandats successifs (le protocole d’accord préélectoral pouvant lever cette limite dans les entreprises de 50 à 300 salariés) (c. trav. art. L. 2314-33).
Cet article L. 2314-33 serait modifié pour supprimer totalement la limitation de 3 mandats successifs (art. 8).
Ainsi, quelle que soit la taille de l’entreprise, un élu du CSE pourrait être réélu autant de fois que possible. La durée du mandat serait inchangée, soit 4 ans.
Assurance chômage : baisse de la durée minimale d’affiliation pour les « primo entrants » |
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Le projet de loi donne une base légale à une mesure de la convention d’assurance chômage du 15 novembre 2024 qui avait été exclue de l’agrément ministériel, prévoyant de diminuer la durée minimale d’affiliation requise pour l’attribution de l’allocation chômage au bénéfice des « primo entrants ». Les primo-entrants sont définis comme les demandeurs d’emploi n’ayant pas bénéficié d’allocation chômage au cours des 20 années précédant leur demande d’allocation (circ. Unédic 2025-03 du 1er avril 2025, fiche 1, § 1.2.1.3). Alors que cette durée d’affiliation est en principe de 6 mois, pour les primo entrants, la convention l’a fixée à 5 mois. Pour permettre la mise en œuvre de cette mesure, le projet de loi vient préciser dans le code du travail que les conditions d’affiliation peuvent être modulées en tenant compte, soit de ce que le demandeur d’emploi n’a jamais bénéficié de l’allocation d’assurance, soit de ce qu’il n’en a plus bénéficié depuis une durée importante (art. 9). |
Projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social, Conseil des ministres du 7 mai 2025 ; https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000051570228/?detailType=CONTENU&detailId=1